L’humour des Grosses Têtes peut-il avoir un impact sur les comportements sexistes ? Joue-t-il un rôle dans la banalisation des violences sexuelles ? Interview de la militante féministe Valérie Rey-Robert qui analyse les mécanismes du sexisme et œuvre à la déconstruction des idées reçues sur les violences sexuelles sur son blog Crêpe Georgette et a publié, en 2019, l’essai Une Culture du viol à la française chez Libertalia.
Quelle est votre impression à la lecture de cette étude et des données récoltées sur la banalisation des crimes sexuels dans l’émission « Les Grosses Têtes » ?
Valérie Rey-Robert : Laurent Ruquier et sa bande cochent toutes les cases du bingo de la culture du viol. Ils ne nous aident pas, ils contribuent vraiment à alimenter des clichés, années après années. Ce que j’ai observé avec toutes les études que j’ai compulsées sur la culture du viol, et visiblement c’est la même chose avec les LGBTphobies et le racisme, c’est qu’une blague sexiste n’aura pas d’impact si, par exemple, vous êtes féministe et que vous êtes déjà sensibilisé·e au sujet. En revanche, on voit très clairement que :
Les études que vous évoquez parlent de l’impact de l’humour sur les comportements des agresseurs et des violeurs, mais y en a-t-il aussi un sur les victimes ?
On part du principe que cet humour là, l’humour sexiste, a un impact sur tous les gens qui ont des préjugés sur la culture du viol. Ça comprend les violeurs, qui vont se retrouver validés dans leurs comportements, mais aussi les victimes qui vont se retrouver invalidées dans ce qu’elles peuvent ressentir, ou au contraire confortées dans leurs idées reçues – par exemple en entendant Laurent Ruquier rire du fait qu’une travailleuse du sexe puisse être violée. Il est bien évident qu’on est tous et toutes élevées dans ce climat, on baigne dans la culture du viol, donc tout participe à la silenciation des victimes.
Les « blagues » sur les féminicides, sur les pédocriminels, sur les agressions sexuelles vont donc finalement légitimer, valider des préjugés déjà existants ?
Tout à fait. Je rapproche souvent le discours féministe qu’on peut avoir sur la sexualité, en particulier hétérosexuelle, et le discours qu’on peut avoir sur l’humour. Ce sont deux sujets difficiles à aborder dans la sphère publique parce que l’humour est quelque chose d’agréable. On va rire autour d’une bonne blague, donc on n’a pas envie de déconstruire ce qui nous fait du bien. La sexualité, c’est pareil : est-ce qu’on a envie de se poser des questions sur nos conditionnements ? Je rapproche ces deux choses car c’est très dur d’intervenir dans le domaine de l’humour. Les gens ne veulent pas se culpabiliser, ils vont se dire « oui j’ai ri de ça, mais ça ne veut pas dire que je cautionne le viol ». Effectivement, ça ne veut pas dire qu’ils cautionnent le viol.
C’est comme tous ces téléfilms de Noël qui remportent un grand succès, y compris auprès des féministes, y compris auprès de moi. Tout en étant parfaitement conscientes des ressorts profondément sexistes, centrés sur les Blancs, centrés sur l’hétérosexualité, on a envie de conserver cette bulle. Ce n’est pas aussi caricatural que les blagues sexistes ou homophobes de Laurent Ruquier, mais pour autant, ces films véhiculent des stéréotypes. Le problème, en ce qui concerne la culture du viol, est que les préjugés sont très ancrés – on le voit avec les sondages sur les idées reçues des Français.